Les conséquences du 13 mai
Une chose pour moi est évidente: la Nouvelle-Calédonie ne peut pas être indépendante sauf à ce qu’elle accepte une immense précarité pour son peuple.
La Nouvelle-Calédonie est, juridiquement, le territoire le plus autonome de France. Ni département, ni collectivité, elle est « de son propre genre ». Tout est géré localement, mis à part, comme chacun le sait, les fameuses compétences régaliennes. Cette autonomie est la poire coupée en deux par les accords de Nouméa, entre partisans de la France et indépendantistes.
Toute la fiscalité Calédonienne est dédiée à financer les politiques publiques locales. TGC, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, CCS. Tout va dans la caisse du territoire. Et ce n’est quand même pas suffisant puisque l’Etat finance le salaire des professeurs alors qu’il ne le devrait pas; simplement nous n’en n’avons jamais eu les moyens.
Inutile de préciser qu’aucun impôt ni taxe des Calédoniens n’alimentent le budget de l’Etat alors que nos communes, nos provinces, notre gouvernement bénéficient d’un soutien financier du contribuable métropolitain en plus évidemment du financement des FANC, de la police et de la gendarmerie, du système judiciaire et pénitentiaire qui relèvent de la compétence de Paris.
Notre autonomie, avant 13 mai, était donc déjà bancale. Financable lors des années 2000 avec un taux de croissance exceptionnel mais soumise à rude épreuve une fois la croissance revenue à un niveau stabilisé milieu des années 2010.
Autant dire que l’insurrection qui a détruit 20% de notre PIB vient d’anéantir non pas seulement l’indépendance mais aussi notre concept autonomiste issu des accords de Nouméa. Je me suis retrouvé être un mendiant depuis deux mois dans les couloirs de la République pour que nous puissions simplement éviter la famine. Nous ne sommes plus capables de faire face à nos propres compétences seuls. Santé, éducation, développement économique, culture, jeunesse, sport, tout aujourd’hui est suspendu au bon vouloir de l’Etat. Et pour longtemps. La présence d’indépendantistes à Paris pour solliciter la solidarité nationale en est la démonstration la plus évidente.
La réforme de notre modèle, les économies drastiques dans les dépenses publiques, la place centrale de l’initiative privée dans un environnement libéralisé ne sont pas des options. Elles ne sont qu’une des orientations qu’il faudra obligatoirement prendre pour espérer retrouver un niveau de développement décent.
Mais ce choix politique ne pourra pas être le seul utile au redressement du pays. Les dirigeants indépendantistes se trompent lorsqu’ils demandent une négociation qui mène vers « la pleine souveraineté » car si trajectoire il y a, elle ne peut plus être au service du rêve d’indépendance mais uniquement destinée à retrouver notre statut d’autonomie d’avant 13 mai.
Seuls nous ne pouvons pas financer la relance et chacun sait que nous ne pourrons pas nous reposer uniquement sur l’industrie du Nickel, soumise désormais structurellement à la main mise de la Chine sur le marché.
Toute autre proposition n’est que posture, et comme deux et deux font quatre la réalité s’imposera aux décideurs que nous sommes. Aujourd’hui ceux qui parlent dans les salons parisiens d’indépendance association sont des gens qui misent sur une paix avec les leaders indépendantistes les plus radicaux sans vraiment se soucier du sort des « gens » qui finalement les intéressent bien moins qu’une solution juridique novatrice qu’ils auraient imaginé laissant leur marque dans l’Histoire de France.
Que cela puisse plaire ou non, la vérité est qu’aujourd’hui le seul intérêt du peuple, le seul intérêt des calédoniens kanak ou non kanak, est un ancrage à la France, sous une forme ou sous une autre. Et ce ne sont pas les loyalistes qui l’auront imposé. Ils auront au contraire, par le développement de la province sud, contribué le plus à financer l’autonomie voulue et revendiquée par les indépendantistes.
Le 13 mai est ainsi, avec le recul, le plus gros sabordage de la « trajectoire vers la pleine souveraineté ». Que chacun puisse en avoir pleinement conscience avant d’aborder les négociations.
Depuis les années 1970, il y a près de 50 ans maintenant, la Nouvelle-Calédonie n’est définie que par deux grands blocs distincts et antagonistes, indépendantistes et non-indépendantiste.
L’autonomie accrue de l’accord de Nouméa, les transferts de compétences importantes et la prise de pouvoir de l’avenir ensemble en 2004 ont fait naître, il est vrai, un clivage plus traditionnel entre droite et gauche sur les politiques économiques et sociales,essentiellement chez les non-indépendantistes. Les trois référendums auxquels nous avons dû nous soumettre ont vu le retour en force des blocs historiques.
Le 13 mai a constitué une sorte de révolution en ce qu’il a instauré un clivage nouveau, mais déterminants, entre les démocrates et les xénophobes.
Chez les non-indépendantistes, majoritairement de culture occidentale et judéo-chrétienne, la démocratie est un acquis indiscutable. Malmenée, contestée, usurpée au cours de l’Histoire, elle n’en demeure pas moins la pierre angulaire de l’Europe depuis le Vème siècle avant Jésus-Christ et la grande Athènes, l’une des trois cités fondatrices de notre civilisation avec Rome et Jérusalem.
C’est pourquoi tous les partis favorables à la France ne peuvent imaginer que la Nouvelle-Calédonie ne soit pas être imprégnée de cette valeur considérée comme un fondement de la société universelle, tout en reconnaissant la spécificité des organisations coutumières.
La véritable fracture s’inscrit chez les indépendantistes dont une partie du bloc s’est détachée de la démocratie, qui était pourtant là aussi, une des valeurs de la lutte kanak originelle. On aura beau mener le débat dans tous les sens y compris les plus extrêmes, l’ouverture d’un droit de vote aux personnes présentes en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 10 ans après que sa population ait choisi la France par trois fois avec un corps électoral gelé ne constitue pas une provocation,mais relève d’un principe de base relatif aux droits de l’Homme et du Citoyen.
La CCAT, création assumée de l’UC, a usé de tous les moyens de propagande, de terreur et de violence, pour nier et faire reculer la démocratie qui ne lui avait pas donné l’indépendance. Par ses campagnes dedésinformation, la haine qu’elle a exprimée et les destructions qu’elle a opérées, la CCAT a jeté des dizaines de milliers de Calédoniens dans la précarité, le désarroi et la peur, après avoir collé une étoile jaune sur le dos des exclus.
Des kanak indépendantistes se sont alors exprimés. Tous des rangs de l’UNI. Paul Néaoutyine, Jean-Pierre Djaiwé, Victor Tutugoro et même Louis Mapou ont, à leur façon, dénoncé la ligne de la CCAT et ses méthodes. Le chef de groupe de l’UNI au congrès a même rappelé dans une interview l’importance de la démocratie, de la non-violence, et de la lutte contre le racisme. Le Président de la province Nord a rappelé que le décès du jeune de Thio était de la responsabilité de la CCAT.
Si nous faisons abstraction de notre ethnie et du clivage qui nous sépare sur la question de la relation à la France, alors nous pouvons simplement constater que nous partageons un certain nombre de valeurs. Et c’est ce qui doit désormais impérativement guider notre action politique.
Et ne surtout pas tomber dans les phrases d’une profondeur de marée basse à l’égard des radicaux de type: « il faut les ramener », « mobilisation transpartisane», « union nationale »… Parce que de quoi et de qui parle-t-on ?
De ceux qui ont renié l’accord de Nouméa ?
De ceux qui ont brûlé les églises, les maisons, les écoles et les entreprises ?
De ceux qui ont anéanti notre économie?
De ceux qui ont ruiné nos services publics ?
De ceux qui ont fait fuir des milliers de Calédoniens ?
De ceux qui s’acoquinent avec des dictatures et le Hamas ?
De ceux qui ont conduit à la mort ?
Je suis profondément meurtri de voir qu’une partie de la classe politique entend lutter contre la xénophobie et la violence en réhabilitant ceux qui en sont à l’origine et qui n’ont bien évidemment renoncé à rien.
L’élection de mon collègue à la présidence de l’UC a pu être vu comme un motif d’espoir tant les propos qu’il a tenus sont parus rassurants. Mais comment ne pas constater que son bureau est composé de fondateurs de la CCAT, comme l’est d’ailleurs la liste de l’UC pour le gouvernement.
Les non-indépendantistes sont face à un choix simple : oublier et pardonner ou tenir sur ces principes et ces valeurs.
Trouver un accord est essentiel. Déterminer quels fondements régiront la Nouvelle-Calédonie que nous laisserons à nos enfants est encore plus important. Et si nous ne sommes pas capables de faire la différence entre le bien et le mal alors c’est que nous avons perdu le nord.
Et nous sommes encore quelques-uns à ne pas vouloir le perdre.